Chronique du concert d'Erik Friedlander
Au premier semestre de l'année universitaire, des étudiant.e.s en Master de Musicologie à l'Université de Tours ont assisté à des concerts au Petit faucheux et dans des lieux partenaires. Ils se sont frotté à l'exercice complexe mais passionnant de l'écriture de chronique de concert dans le cadre d'un atelier mené par Vincent Cotro, professeur de musicologie et critique pour la revue Jazz Magazine. Nous publions les articles écrits par ces jeunes plumes, dans le cadre de notre rubrique "Jazz en ligne(s)".
Pour débuter cette belle série, voici le live report du concert du quartet d'Erik Friedlander le 9 novembre dernier.
Erik Friedlander quartet : une ouverture new-yorkaise pour la 21ème édition du festival Émergences. Par Rémo Winkelmann
Ce premier concert est un alliage parfait entre découverte et transmission, festival national et local. Le violoncelliste américain Erik Friedlander se produit au Petit faucheux pour l’ouverture du festival et anime une masterclass ouverte à tous le lendemain en compagnie des élèves de l’école Jazz à Tours.
Ce festival organisé par le Petit faucheux et Jazz à Tours se déroule tous les ans en automne. Vecteur de transmission entre les générations, il occupe également une grande place dans la ville de Tours : Bada-Bada se produira le lendemain soir ainsi que PAN.TONE au Bateau ivre. Un barathon organisé par Noise Gate, l’association des élèves de Jazz à Tours, accueillera quatre groupes dans différents bars de la ville le vendredi 11. Une discussion autour de la place des femmes dans le jazz aura lieu le samedi 27 à la bibliothèque centrale et sera suivie du projet « Mysterium » porté par sept femmes le soir à 20h au Petit faucheux. Suzanne et P.446 donneront les dernières notes pour clôturer le festival le dimanche 13 à la salle Ockeghem
Figure incontournable de la scène downtown à New York, pour son premier concert en France en tant que leader, Erik Friedlander devient le parrain de l’édition 2022. À 20h la salle est complète, les quatre musiciens montent sur scène, chacun éclairé d’un projecteur de dos, ils commencent à jouer les morceaux de leur dernier album « A Queen’s Firefly » sorti le 29 avril.
Nous découvrons une maîtrise totale des instruments. Les musiciens nous offrent un spectacle auditif mais aussi visuel : derrière son violoncelle rouge, Erik Friedlander nous impressionne, à l’aise dans la musique atonale tout autant que dans ses mélodies minimalistes qui nous rappellent Philip Glass. Avec son partenaire Mark Helias à la contrebasse ils exploitent tous les modes de jeu de leurs instruments, leur son passe de walking basses en pizz au frottement des codes de haut en bas jusqu’au chevalet. Il en va de même pour Uri Cane au piano, il enrichit l’harmonie et les mélodies des morceaux par de nombreux block chords. Les deux mains totalement indépendantes jouent des rythmes très différents en exploitant les extrêmes graves et aigus de l’instrument. Ches Smith ne cesse de nous impressionner tout au long du concert, les cymbales et les peaux sont frottés, il joue sur les cloches, sur les cercles métalliques des fûts avec différentes baguettes ou simplement avec ses mains comme sur le morceau A Queen’s Firefly.
La cohésion entre les musiciens est infaillible, ils enchainent les morceaux sans coupures, le leader ne laisse pas le temps de faire redescendre l’énergie après les longues improvisations explosives. Le morceau Seven Heartbreaks ressemble presque à une improvisation collective du début à la fin. Le public en réclame encore et nous entendons en rappel Cello Again, un blues dans un style de jazz Nouvelle-Orléans et Fire in You pour clôturer cette soirée d’ouverture d’Émergences.
Erik Friedlander Quartet au Petit faucheux. Par Pauline Bernard
Cérémonie d’ouverture du festival Émergences au Petit faucheux. Les musiciens, de la fameuse scène downtown new-yorkaise, n’ont pas manqué de venir réchauffer les oreilles des Tourangeaux face à l’arrivée de l’automne.
Ce mercredi 9 novembre, la SMAC du Petit faucheux spécialisée dans le jazz et les musiques improvisées a accueilli Erik Friedlander accompagné de son quartet. Les musiciens sont venus nous proposer un répertoire free jazz à l’instrumentarium chambriste en guise de cérémonie d’ouverture du festival Émergences. Cet événement a pour objectif de réunir des artistes locaux et internationaux sous le prisme de la transmission intergénérationnelle. A l’occasion de sa 21ème édition, le festival a mis en place une programmation adaptée aux différentes scènes de la ville de Tours. Plusieurs événements se sont déroulés au cœur de la métropole afin d’accompagner différentes formations provenant principalement de l’école Jazz à Tours. Plus qu’un simple festival de jazz, Émergences est également concerné par des problématiques d’actualité à travers la réalisation d’actions culturelles consacrées par exemple à la place des femmes dans le jazz. Des valeurs et un plan d’action qui font plaisir à découvrir en sensibilisant les collectivités locales à la question du genre dans la musique.
Arrivée 19h30 dans le hall du Petit faucheux. Attendant la fin des préparatifs techniques, le public (composé de tourangeaux et de quelques parisiens) occupe son temps dans l’ambiance chaleureuse du bar, tandis que d’autres optent pour une documentation minutieuse du programme de la soirée jusqu’à échanger des pronostics sur les performances à venir. 19h50, les portes de la salle ouvrent enfin ! En quelques minutes la jauge se remplit progressivement. Elle se compose d’un public multigénérationnel réunissant étudiants de l’école Jazz à Tours, réseau du Petit faucheux et étudiants de musicologie. Tous venus profiter du jeu new-yorkais. Après les discours chaleureux tenus par Sylvain Moussé (président de l’association du Petit faucheux) et Antoine de la Roncière (responsable programmation), les lumières s’éteignent, l’arène est désormais ouverte ! Accueillis par des applaudissements, les musiciens s’installent et débutent avec leur titre Match Strikes. Une composition fraîchement sortie en avril 2022 dans leur album “A Queen’s Fireflyˮ. Les musiciens nous régalent avec un jeu textural très chambriste, ponctué par des techniques de jeu variées et accompagné par les improvisations du violoncelliste. Glissandos, doubles cordes, trilles, pizzicatos, balayages, staccatos, jeu en harmoniques, on imagine Jacques Féréol Mazas se retourner dans sa tombe. Vient ensuite le tour d’Uri Caine. Le pianiste enchaîne avec une improvisation tout simplement incroyable. On reconnaît son inclination pour le compositeur Gustav Malher avec des articulations harmoniques tout droit sorties du romantisme. Les jazzmen enchaînent ensuite avec le plus calme Queen’s Firefly. A notre grande surprise, le morceau débute par une version introduisant le thème en pizzicato. Malgré un contrebassiste parfois difficile à entendre, nous somme totalement emporté.e.s par l’éboulement sonore qui nous submerge. Des effets tellement étirés et destructurés, que l’on vient à perdre nos repères. Nous ne savons plus ce qui relève du solo ou du texte écrit. Toujours dans l’intention de nous faire graviter en apesanteur, le groupe poursuit avec un morceau bruitiste et expérimental développant la reproduction d’un bruit de porte. Le goût du violoncelliste pour les musiques de film ne manque pas de nous surprendre. Nous revenons ensuite à nos esprits avec la reprise d’un standard en anatole Shallow Again. Le groupe termine le concert avec deux rappels dont la reprise de Fire and You. Un morceau qui met véritablement le feu sur la scène par le niveau de technicité proposé et qui nous évoque un rituel de possession par le regard anormalement figé de Ches Smith.
Malgré une sonorisation défectueuse de la contrebasse et quelques faux départs, le quartet semble avoir marqué les esprits des jeunes musiciens présents et a visiblement fait honneur aux engagements d’Émergences. A savoir la promotion d’un jazz libre, curieux, engagé et ouvert sur le monde, moderne et passionnant.