Chronique du concert de Paal Nilssen-Love par des étudiant·es de Musicologie
Dans le cadre de leur parcours de Master "Musique et sciences humaines" (Universités de Tours et Poitiers), 8 étudiantes et étudiants ont participé à un atelier "Initiation à la critique de jazz" conçu et animé par Vincent Cotro en 2022-23 et renouvelé cette année. Enseignant-chercheur au département de musicologie de Tours à l'origine de nombreux événements et partenariats en collaboration avec Le Petit faucheux, Vincent Cotro est également chroniqueur régulier pour le mensuel Jazz Magazine depuis de longues années. Il a été amené dans ce cadre à produire de très nombreux textes et chroniques reliés à l'actualité du disque et des concerts, dans des formats très différents.
Invitant à réfléchir plus largement aux formes et aux enjeux de la critique de jazz et à observer ses évolutions, l'atelier a surtout permis aux étudiant·e·s d'exercer très concrètement leurs compétences d'écoute et de rédaction, de fortifier leur culture musicale et d'exercer leur esprit critique hors du champ académique. Deux concerts leur ont été proposés dans la saison du Petit faucheux, ainsi que deux CD issus de la production récente du jazz dans des esthétiques variées. La présente rubrique permet de restituer le premier volet de cet atelier et d'apprécier la diversité des regards, des écoutes et des styles rédactionnels qui s'affirme d'un texte à l'autre. En effet, si toutes et tous les signataires sont musicien·ne·s et musicologues, ils et elles n'entretiennent pas la même familiarité avec le jazz et les musiques improvisées, ses codes ou rituels scéniques.
La rubrique Jazz en ligne(s) a vocation à accueillir, au-delà du fruit de cette initiative particulière, d'autres critiques ou compte-rendus de concert produits spontanément par les étudiant·e·s musicien·ne·s et musicologues issu·e·s du département de musicologie ou de Jazz à Tours.
Dans le cadre de la rentrée culturelle de Tours, c’est dans la salle de concert du Petit Faucheux, le 16 octobre 2024 à 20h30, que le batteur Paal Nilssen-Love, figure majeure de la scène de free jazz et des musiques improvisées norvégiennes depuis deux décennies, nous a fait voyager vers des influences brésiliennes à travers son programme intitulé « New Brazilian Funk ».
Durant le concert, nous avons retenu notre attention sur le batteur, Paal Nilssen-Love, qui n’a cessé de nous impressionner par son jeu très énergique, tant au niveau de la sonorité, assez funk et rythmique, que de sa gestuelle outrageusement exagérée donnant l’impression de vouloir détenir la place principale du concert.
Dès le début du concert, P. Nilssen-Love était mis en avant par la force de son jeu. Il couvrait pratiquement tous les instruments malgré le volume assez élevé du premier morceau. De par sa gestuelle et son jeu assez fort, il transpirait même au milieu du concert, ce qui le rendait impressionnant, compte tenu de l’ovation du public lors de la première partie. On pouvait remarquer quelque personnes dans le public qui n’hésitaient pas à bouger la tête au rythme de la musique montrant l’influence du funk par la batterie ainsi que l’accompagnement de la basse électrique par Mattis Kleppen. L’utilisation de la basse électrique met en avant le style funk grâce à son jeu très rythmique qui sera accentué par l’arrivée en crescendo de la batterie notamment lors du troisième morceau.
Ce concert nous introduit dans des sonorités brésiliennes grâce à l’utilisation du cuíca (instrument brésilien) joué par Paulinho Bicolor, nous baignant dans une atmosphère calme. Le décor nous plonge dans une forêt amazonienne emplie de cris d’oiseaux par des coups de sifflet du batteur pendant le deuxième morceau, cela mêlé par un accompagnement du style funk à la basse, et un jeu très doux, pratiquement soufflé au saxophone donnant une sonorité jazz. Le guitariste et chanteur Kiko Dinucci utilise parfois un archet de violon pour sa guitare, et son chant pentatonique en brésilien rappelle l’influence de la musique traditionnelle de ce pays. Tout comme Paal Nilssen-Love, Kiko Dinucci possède également une forte présence scénique. Ses regards concentrés, avec les yeux plissés, et la position de son corps tournée vers le batteur dégageaient une certaine communication entre les musiciens. Le jeu de Frode Gjerstad nous emmène vers des sonorités plus jazz grâce à divers styles de jeu. En effet, il peut adopter un jeu très doux, parfois même complètement soufflé, tandis qu’il peut utiliser un jeu avec beaucoup de vocalises et une intensité plus forte.
En définitive, nous avons assisté à un métissage constant de genres et de cultures, offrant différentes expressions pour chaque morceau. Une certaine théâtralité se dégageait sur scène de la part de Paal Nilssen-Love et de Frode Gjerstad, ce dernier n’hésitant pas à disparaître de temps en temps. Leurs mouvements qui restaient naturels, montraient une authenticité dans la mise en scène. Dans ce concert mouvementé, une ambiance de concentration se faisait sentir parmi le public, sans interventions ni sifflements face à l’adrénaline dégagée sur scène, mais avec une écoute attentive. Adèle Gachet
Mercredi 16 octobre, dans le cadre de la rentrée culturelle de la ville de Tours, l’équipe du Petit Faucheux nous a proposé un concert de free jazz coloré de musique brésilienne. Nous y étions, on vous raconte.
Soyons honnêtes, chers lecteurs de Jazz magazine, le free jazz semble parfois un territoire mystérieux et un peu inaccessible. Régulièrement épinglé comme une musique pour musiciens, farouchement impénétrable aux non-initiés, le free, ce n’est pas toujours gratuit, et cela demande une écoute active.
Quand on n’est pas (encore) un aficionado du genre, s’offrir une place pour un concert de free jazz, c’est indéniablement faire preuve d’une certaine audace. Et ce mercredi soir dans la confortable salle du Petit Faucheux, vous auriez eu raison !
Devant un public venu nombreux, le concert a débuté avec un morceau propre à satisfaire les « puristes » du genre !
Le leadership affirmé du batteur norvégien, Paal Nilssen-Love, dont Pat Metheny disait : « C’est tout simplement l'un des meilleurs nouveaux musiciens que j'ai entendu ces dernières années* » insuffle une énergie puissante au groupe, et emplit la salle de sa présence, n’oubliez pas vos protections auditives !
D’entrée, leur musique est inventive, libre, et dense mais pas que. Leur deuxième performance tranche subitement, Paulinho Bicolor à la cuìca et Frode Gjerstad au saxophone alto installent un dialogue tout en improvisation et en nuances de timbres.
La Cuìca, c’est cet instrument, à la fois percussif et mélodique, qui laisse planer en filigrane un chant d’oiseau exotique sur la musique brésilienne.
Et c’est la grande réussite de ce concert, des montagnes russes et beaucoup de surprises. Comme pour laisser au public le temps de reprendre son souffle, ils alternent des moments très intenses, la batterie y contribuant beaucoup, avec des morceaux beaucoup plus apaisés et introspectifs. Par une maîtrise indéniable de leur matière sonore, ils explorent les timbres, les genres, ils glissent du jazz au funk avec les lignes de basse de Mattis Kleppen. Ils frôlent parfois la musique expérimentale quand Kiko Dinucci prend un archet (ou sa bouteille d’eau) pour détourner le timbre de sa guitare électrique. Puis sa voix dessine insensiblement, au milieu de ce flot instrumental, un chant brésilien aux origines lointaines.
Bien ancrés dans l’improvisation collective, ils ont plaisir à s’écouter, à explorer ensemble… et c’est contagieux ! Avec ce concert, d’une heure quinze, le temps est passé presque trop vite, on aurait aimé prolonger encore un peu ce voyage, immobile, inventif autant que festif. Enfin, un conseil, allez-vous promener sur le site du groupe, pour les néophytes, c’est un sésame pour découvrir ce style exigeant, pour les amoureux du genre, c’est une expédition vers le Brésil, mais aussi le Japon et l'Éthiopie avec un album consacré à chaque pays. Sandrine Asensio
*2002, Festival de Jazz de Molde
Mercredi 16 octobre : les Vikings prennent d’assaut le Petit faucheux
Sans pillage ni ruines, le quintet norvégien de free jazz mené par le batteur charismatique Paal Nilssen-Love a offert une musique métissant free, funk et héritage brésilien, dans une rencontre improbable et brillante.
Encore une fois, le berserker et son arsenal de tambours ont osé ce mariage, après Ethiobraz et New Brazilian Funk (2019). Tout de suite éclate un big-bang sonore duquel naît un univers musical bigarré mais cohérent; Frode Gjerstad (as), qui fait figure de sensei, virevolte aux nues par une impro dissonante, dans un son piquant et fin à la Coleman, tandis que sur la terre fulminent guitares électriques et cuica (tambour à friction brésilien) en concertation autour du batteur possédé par sa musique, dont les membres, mus par une force aveugle et créatrice, soutiennent, tel un Atlas, tout l’édifice rythmique. Car le rythme et les timbres prévalent sur la mélodie et l’harmonie: la batterie se fait leader et le sax, accompagnateur; la spatialisation du quintet ménage des sous-groupes: solistes (as, eb) d’un côté, guitare et cuica de l’autre, formant avec la batterie centrale comme une section rythmique.
Aux extrémités se répondent cuica et sax dans leur timbre léger, tandis que les sonorités lourdes se massent au centre. Après stupeur et tremblements dans la pure veine Nilssen-Love, la musique cesse d’un coup, nous laissant effarés face au silence mortel qui succède à la vie trépidante. C’est alors que le quintet, après ce tour de chauffe qui relève plutôt du tour de force, entre dans le vif de son sujet avec 4 morceaux plus étonnants encore, quittant la mère-patrie jazz pour un nouveau cap qui s’amorce dès le début du 2ème morceau avec un duo cuica-sax où, joutant de phrases ascendantes, Gjerstad travestit à merveille son timbre en celui de son partenaire; c’est ensuite à Dinucci de faire son coming-out en jouant sa guitare comme un violoncelle dans un continuum de sons graves fascinants puis, au fil des pièces, au batteur, qui renouvelle sa panoplie, changeant des sifflets en flûtes ou frappant toms, caisse claire et cymbales, dans une ritournelle de tambours de jongle.
Mais le plus incroyable est cette convergence de styles qui s’enchaînent sans hiatus et s’imbriquent sans faute de goût: tantôt une mélodie funk à la basse glosant sur de savoureux arpèges de ré, tantôt un air brésilien de Dinucci aussi exquis en harmoniques, tantôt des mesures samba entrecoupées de Charleston sur contretemps ou de cowbell nous ramenant soudain à Chick Webb, le tout sur fond de cuica et de notes soufflées au sax, témoins des deux partis unis par le sacrement de la musique. Et au gré de ces unions heureuses, on goûte, écrasés et édifiés, une virtuosité d’écriture, d’improvisation collective et de recherche de textures qui fuient tout ennui ou incompréhension, ainsi qu’une élaboration rythmique et un tuilage des parties, en une parfaite cohérence formelle. Arnoult Denimal
Un concert aux mille facettes : de l'étonnement à la sérendipité.
Le 16 octobre à 20h30 se produisait dans une salle du Petit Faucheux, à Tours, le batteur Paal Nilssen-Love pour interpréter son album de 2019 « New Brazilian Funk ». Cette représentation fait partie de la rentrée culturelle de Tours pour la première adhésion du Petit Faucheux. Ce concert s’inscrit d’ailleurs dans une tournée collective, en collaboration avec d’autres structures comme celles de Brest, Nantes et Poitiers.
Après avoir mis à l’honneur des pays comme le Japon, avec son album « New Japanese Noise » sorti en 2019, le batteur norvégien a décidé de se tourner vers le Brésil. Une influence qui se retrouve par la présence d’un tambour à friction brésilien, la cuica, interprété par Paulinho Bicolor, mais également lors de certains morceaux exécutés par le chanteur et guitariste brésilien Kiko Dinucci. Mais cet album regorge également de sonorités venues du free jazz, ainsi que du funk. Ce métissage n’est pas toujours des plus évidents à entendre mais une fois remarqué il est difficile de ne plus y prêter attention. Pour plus rentrer dans le détail de la prestation, les musiciens commencèrent avec un morceau aux allures cacophoniques. Certains membres du public furent d’ailleurs aperçus quittant la salle peu après. Mais sous ses airs de charivari assourdissant pouvant déplaire se cache en réalité quelque chose de bien plus clair et audible. En tendant bien l’oreille il est possible d’entrevoir des mélodies pour chaque voix. On peut très souvent entendre des ostinatos rythmiques à la batterie, ou à la guitare, créant une sorte de repère mais rappelant parfois des rythmes pouvant être attribués à la musique brésilienne ou au funk. Durant ce concert, il ne faut pas se fier aux apparences. Les instruments sont détournés de leur jeu habituel : utilisation d’un archet pour la guitare ; la batterie n’est pas la seule percussion utilisée, le guitariste joue également de la percussion corporelle lors de certains morceaux ; et les musiciens n’utilisent pas uniquement des instruments à proprement parlé, on peut remarquer durant l’un des dernier morceau l’utilisation d’une bouteille en verre.
Une fois les nuances artistiques saisies, on découvre des couches de mélodies et des gammes d’émotions qui enrichissent l’expérience. Cela peut transformer une première impression, plus ou moins bonne, en une véritable révélation. Noémie Pagueguy
Une rentrée culturelle détonante au Petit Faucheux !
16 octobre 2024, c’est la première fois que Le Petit Faucheux participe à la rentrée culturelle Tourangelle, dans l’espoir peut-être de faire venir un nouveau public. Ce soir, c’est Paal Nilssen-Love, batteur et percussionniste norvégien, qui se produit sur scène.
Nous sommes prévenus par le présentateur du coté « détonant » de ce que nous nous apprêtons à entendre, aussi rappelle t-il l’emplacement de la distribution des protections d’oreilles avant de laisser place aux musiciens.
Ni une ni deux, nous sommes tous chauffés à blanc par les premiers coups de baguette du batteur, retentissant sur une batterie réglée singulièrement basse que ce dernier surplombe et domine complètement. Nous sommes soudainement plongés dans un univers sonore en pleine ébullition, dans une tempête musicale oscillant entre chaos et respirations soudaines. Entouré de quatre musiciens habiles autant qu’ éclectiques, Paal Nilssen-Love donne vie à son nouvel album « New Brazilian Funk » avec une intensité débridée. Le batteur, au centre de l’action, semble presque entrer en transe dès qu’il s’empare de ses baguettes, jouant avec des motifs rythmiques complexes qui reflètent l’influence directe de la musique traditionnelle brésilienne, tout en intégrant une signature résolument free jazz. Une pulsation sous-jacente presque intangible et parfois émergente nous est transmise par la section rythmique, complétée par la basse de Mattis Kleppen et la guitare de Kiko Dinucci. C’est dans ce chaos obstiné, que Frode Gjerstad au saxophone semble vouloir à travers ses micros-explosions d’improvisations libres se rapprocher du timbre rugueux et criard du cuíca de Paulinho Bicolor, ce dernier injectant aves ses multiples frottements une tension organique presque humaine.
Ainsi, nous explorons les musiques du monde, tout en plongeant dans un territoire étonnamment festif et texturé : le funk brésilien rencontre le free jazz norvégien. Toutefois, l’énergie brute, souvent déroutante peut en désorienter plus d’un. Là où certains moment pourraient sembler trop abrasifs pour une oreille non initiée, les amateurs de free jazz et d’expérimentations sonores pourront y trouver une richesse d’exploration. La musique de Nilssen-love ne cherche pas à plaire, elle provoque, elle questionne.
Les morceaux s’enchainent avec une fluidité remarquable, parfois frénétiques, parfois déstructurés, parfois presque cinématographiques, ils captent l’attention du public tout au long du concert. Les surprises sont nombreuses : entre la pleine intégration de petites percussions du monde dans le jeu du batteur, telles que des claves, des Kalabash, des Karkabou jusqu’au remplacement total des baguettes par un hochet-tambour (dont les billes de bois venaient frapper la ferraille de la batterie), nous voyageons. Et lorsque la densité du voyage imposée par le chaos sonore méticuleusement contrôlé se fait trop importante, des nuances paisibles apparaissent à travers la voix rayonnante de K.Dinucci, chantant soudainement des chants traditionnels (dont un envoûtant interlude en duo avec la basse de Mattis Kleppen et la voix de Kiko Dinucci). Ce concert fut une réelle aventure sonore, transportant son public dans une multitude de paysages, entre tradition et chaos moderne. Il est clair que cette prestation reste destinée à un public curieux, prêt à se laisser dérouter. Antoine Rolland
Une Soirée avec Paal Nilssen-Love et le "New Brazilian Funk"
Le 16 octobre, sous une douce soirée d’octobre typique du Centre-Val de Loire, la pluie tombe doucement sur la ville de Tours. Le batteur Paal Nilssen-Love et son groupe montent sur scène dans le cadre de la Rentrée Culturelle de la Ville de Tours. Ce concert, attendu et empreint de promesses d'expérimentation et de sonorités nouvelles, s'apparente, pour ceux qui découvrent le free jazz, à un véritable test d'endurance et d'engagement.
Cela me rappelle des œuvres cinématographiques marquantes comme La Mince Ligne rouge de Terrence Malick et Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, toutes deux sorties à la fin des années 90. Dans le premier, la guerre se déploie lentement, comme une mélodie construite progressivement. À l’inverse, dans le deuxième, le spectateur est immergé d’emblée dans le chaos brutal et cacophonique du débarquement de Normandie, une scène si réaliste que certains vétérans ne peuvent rester dans la salle. D’une certaine manière, commencer un concert par un morceau hardcore procure une sensation similaire pour les néophytes du free jazz – une immersion immédiate dans un univers exigeant et stimulant. Mais, bien sûr, pour les habitués du Petit Faucheux, cette confrontation initiale n’a rien d’inédit. Après des applaudissements nourris, le groupe est revenu sur scène pour un rappel, clôturant ce concert captivant, où chaque note et chaque improvisation avaient convié le public à un voyage musical passionnant. Ce groupe cosmopolite, avec son style singulier, dévoile les mystères de son univers musical. Embrassant une riche palette de sonorités, chaque improvisation est imprégnée de nuances profondes et délicates. Ancrée dans un univers électro-acoustique, leur musique dialogue également avec des traditions lointaines, évoquant les pionniers du jazz fusion tels qu'Okay Temiz, percussionniste et batteur turc originaire de Thrace, maître des rythmes complexes et asymétriques essentiels au folklore, ayant su dès les années 60 mêler musiques traditionnelles de contrées diverses et jazz moderne.
Paal Nilssen-Love, le batteur scandinave, alliant finesse et puissance, sculpte chaque note avec une précision percutante grâce à sa cymbale crash Paiste, tandis que ses cymbales Zildjian, héritières d'une riche tradition d'alchimie, et sa China Pang, au timbre aigu et incisif, créent une texture sonore fascinante et une profondeur unique. Sans relâcher la pédale de grosse caisse ni celle de charleston, il rappelle son ancrage dans la tradition rythmique du jazz, même si les baguettes et mailloches laissent parfois place à des instruments traditionnels comme les qraqeb, ces castagnettes métalliques montées sur un manche. La basse électrique de Mattis Kleppen évoque d'autres horizons, rappelant les sonorités profondes du guembri, cet instrument traditionnel des musiques Gnawa, qui induit la transe et est souvent joué par les Touaregs et les Berbères subsahariens. Cette richesse sonore, puisée dans les cultures du monde, s'accentue encore grâce à la contribution de Paulinho Bicolor, qui joue plusieurs cuícas, dont l'une, dotée de haut-parleurs semblables à ceux d'un phonographe pour amplifier le son, rappelle le timbre de la zambomba de Jerez, en Andalousie. Le guitariste Kiko Dinucci, qui est aussi chanteur du groupe, apporte une dimension expérimentale à l'ensemble en jouant parfois de longues tonalités de feedback produites à l’archet et des sons synthétiques déformés capturés en boucle à l'aide d'un looper, enrichissant ainsi la texture sonore de façon cyclique et hypnotique.
Grâce à la contribution de chaque membre, le batteur norvégien a forgé une expérience vibrante, où chaque coup de baguette a résonné comme un écho des outils ancestraux ayant façonné son art. Un son intemporel, empreint d'une maîtrise presque magique, dépassant les époques et tissant des liens entre les traditions avec une inventivité réjouissante. Mustafa Caner Sezgin
Paal Nilssen-Love et les extraterrestres au Petit faucheux
Dans le cadre de la rentrée culturelle de Tours, après Genève et Poitiers, le Petit faucheux accueillait le batteur norvégien Paal Nilssen-Love ce mercredi 16 octobre pour présenter son album “New Brazilian Funk”, sorti en 2019 chez PNL Records. Avec Frode Gjerstad (saxophone alto), Paulinho Bicolor (cuíca), Kiko Dinucci (guitare, voix) et Mattis Kleppen (basse électrique), le musicien originaire de Molde, Norvège a proposé une fusion éclectique de musique brésilienne, de funk et de free jazz mêlée des sonorités folk de son pays natal.
Sur scène, la configuration ne semble annoncer rien d’extraordinaire : le leader prend sa place au centre du groupe, flanqué de ses collègues de chaque côté pour former une ligne droite. La cacophonie qui s’ensuit détruit rapidement cette présomption. Depuis la périphérie, Frode Gjerstad et Paulinho Bicolor déchaînent une volée de bruits qu’ils se renvoient l’un à l’autre, comme s’ils lancent les premières pierres dans une bataille galactique. Perçant et métallique, la cuíca surprend par sa versatilité ; son timbre cuivré s’intègre parfaitement à la tessiture aigue du saxophone, exploitée avec une vocalité essoufflée et presque humaine. Ce dialogue continue après la première transition : nous sommes transportés dans une autre dimension, en la compagnie des extraterrestres. Une atmosphère surnaturelle s’installe avec des effets de reverb, des percussions supplémentaires (dont un sifflet) et des coups d’archet sur la guitare, accompagnés d’un chant dans une langue étrangère non identifiée. Perturbés, désintéressés ou peut-être les deux, quelques spectateurs se lèvent et quittent la salle, tandis que le batteur annonce un morceau inspiré du folklore norvégien. Kiko Dinucci, qui chante dans une autre langue, bat ses mains sur un rythme syncopé qui s’aligne sur celui de la basse et se métamorphose en criailleries partagés entre la cuíca et le saxophone. Sans connaître la scène jazz en Norvège, il n’est pas clair si d’autres parties du concert s’en sont inspirées. L’influence du style brésilien, en revanche, est plus lisible, notamment avec l’emploi des claves et des rythmes bossa nova vers la fin du spectacle.
Quelques déceptions : malgré l’intitulé du programme, l’aspect funk a été difficile à saisir pour l’auditeur non averti. Il en a été de même du rôle de Frode Gjerstad, qui, d’après le site du Petit faucheux, devrait “occupe[r] une place de choix” dans l’ensemble. Si le concert était censé mettre en valeur son histoire avec Paal Nilssen-Love, ce rapport ne transparaît pas du tout sur scène, le saxophoniste étant celui le plus “détaché” du groupe (se retirant même dans les coulisses de temps en temps). En outre, à la différence des interactions avec les autres membres de l’ensemble, il y avait finalement peu de dialogue entre le batteur et son « mentor ».
Une initiative néanmoins créative et novatrice, à l’instar des projets antérieurs de Nilssen-Love sur les musiques japonaises et éthiopiennes. Loin d’une image stéréotypée du free jazz, “New Brazilian Funk” exploite un mélange inattendu de genres et de palettes sonores qui pousse le spectateur à réfléchir sur ce qu’il entend. À revoir à Brest et à Nantes les 18 et 20 octobre 2024. Alina Tylinski
Le Free s’enflamme aux rythmes brésiliens
Paal Nilssen-Love, figure du free jazz norvégien, a martelé la scène lors de son passage à Tours le 16 octobre au Petit Faucheux. Dans le cadre de la rentrée culturelle, le batteur nous a transporté, non pas en Éthiopie ou au Japon comme il l’a fait auparavant, mais au Brésil. Son projet « New Brazilian Funk » suit les pas d’Hermeto Pascoal et de Jan Garbarek et synthétise parfaitement l’aspiration du free jazz : il élargit les horizons en se tournant vers les cultures étrangères.
Après que le leader-batteur a annoncé les noms des membres de son groupe, ces derniers enchaînent sans fioriture sur leur projet audacieux et complexe, qui m’a fait passer par tous les états d’âme. J’ai en effet été saisie par le jeu effréné du percussionniste sur ses cymbales, surprise par les grognements d’un archet de violon sur la guitare électrique et perturbée par le jeu grinçant de la cuíca. Il faut une attention particulièrement soutenue pour se repérer dans cet univers chaotique, saturé de reverb, de dissonances et de sifflements. Pourtant, la musique reste fondamentalement collective : chaque instrument est mis à l’honneur lors de solos et la disposition scénique est claire. Nilssen- Love, placé au centre, incarne l’épicentre rythmique avec sa batterie, autour duquel les instruments forment des sous-groupes dynamiques. Le rythme et la recherche des timbres priment tandis que l’harmonie et la mélodie sont reléguées au second plan. J’ai dès lors interprété cette cacophonie initiale comme un défi lancé aux auditeurs. En franchissant cette première étape de free jazz rébarbatif, on accède à la substantifique moelle : la musicalité du crossover. Surgissent alors les influences brésiliennes au chant, à la cuíca et le funk émerge à la basse et à la guitare. Néanmoins, le mixage des influences ne se limite guère à une simple répartition instrumentale. Il est vrai que chaque instrument porte des caractéristiques distinctives (la cuíca pour le Brésil, le saxophone pour le free jazz), mais ce qui compte ici c’est l’interaction des musiciens, car c’est elle qui crée l’alchimie des genres. Par exemple, ces derniers instruments dialoguent beaucoup sur scène; ils se cherchent et s’imitent. Lorsque l’un couine, l’autre répond en sifflant, bien qu’éloignés sur scène. On croirait entendre des mouettes, voire des cris.
Cette recherche de sonorités semble être le moyen qu’a trouvé Nilssen-Love pour allier le courant free aux autres influences. Chaque musicien se livre à une quête sonore, réglant son instrument pour trouver la note ou le timbre qui transportera ou déstabilisera le public. Une fois l’improvisation arrivée à son paroxysme, que ce soit sur le plan technique ou sonore, le calme revient, et le spectacle s’achève sur les chuchotements des percussions brésiliennes. Cette performance ne se contente pas de jouer la musique, elle la réinvente à chaque instant. Gerda Bornhauser