© Rémi Angéli

Chronique du concert de Géraldine Laurent

Au premier semestre de l'année universitaire, des étudiant.e.s en Master de Musicologie à l'Université de Tours ont assisté à des concerts au Petit faucheux et dans des lieux partenaires. Ils se sont frotté à l'exercice complexe mais passionnant de l'écriture de chronique de concert dans le cadre d'un atelier mené par Vincent Cotro, professeur de musicologie et critique pour la revue Jazz Magazine. Nous publions les articles écrits par ces jeunes plumes, dans le cadre de notre rubrique "Jazz en ligne(s)".

Pour débuter cette belle série, voici le live report du concert du quartet de Géraldine Laurent le 20 octobre dernier.

"Quatre musiciens complices" par Tahina Ramaharivo Kwan Sang

Dans le cadre de la série de concerts consacrée aux femmes du jazz, le Petit Faucheux a accueilli le 20 octobre dernier Géraldine Laurent (saxophone alto), Paul Lay (piano), Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie) avec un programme intégralement issu de son dernier opus “Cooking”.

Installé confortablement dans l’un des 200 fauteuils de la salle du Petit Faucheux, j’ai l’agréable impression que cette soirée va me surprendre. A première vue, l’effectif instrumental laisse penser que nous allons écouter une soliste saxophoniste accompagnée par une section rythmique « traditionnelle » (piano – batterie – contrebasse). Mais c’est une erreur. Géraldine Laurent est la « vedette » de ce concert mais les autres musiciens ne sont pas des inconnus : le pianiste multi-récompensé Paul Lay, le contrebassiste Yoni Zelnik, qui s’est produit notamment avec Avishai Cohen, et le batteur Donald Kontomanou, formé à New York, sont des musiciens très largement reconnus dans le monde du jazz d’aujourd’hui.

Ensemble, ils sont venus présenter leur dernier album “Cooking”, qui succède à “At Work”, et qui a remporté une Victoire de la Musique Jazz en 2020 dans la Catégorie Album de l’Année. Dès le premier morceau, on remarque que les quatre musiciens sont très complices : les nombreux regards et gestes qu’ils s’adressent durant leur performance, en témoignent, que ce soit pour simplement signaler un changement dans la forme ou pour « transmettre » un solo d’un musicien à l’autre. Cependant, cette priorité donnée au collectif n’éclipse aucune des différentes personnalités des membres du quartet. Ainsi, le calme apparent des improvisations de Yoni Zelnik impressionne, tandis que le jeu de Donald Kontomanou, plein d’enthousiasme et de vigueur, fascine. Paul Lay s’affirme en maître du clavier, lançant ici et là gammes et arpèges comme des fusées, peignant ailleurs avec son piano mille couleurs. Quant à la leadeuse, son jeu puissant, sa virtuosité et son émission particulière entraînent ses acolytes avec un élan contagieux et communicatif. Oui, ces artistes aiment jouer ensemble et cela se ressent même à quelques mètres de distance. Malencontreusement, la plupart des noms des titres joués m’a échappé, sauf un : le morceau éponyme Cooking, avec son thème haché joué avec fougue.

La performance de Géraldine Laurent, Paul Lay, Yoni Zelnik et Donald Kontomanou a été saluée par un public enthousiaste et dithyrambique (mention spéciale à Donald Kontomanou qui s’est imposé à l’applaudimètre). Un dernier élément illustre le sentiment de complicité dominant ce mercredi soir. J’aurais pu (et dû) le remarquer avant même l’entrée sur scène des artistes : le piano placé presque dos au public permettant à Paul Lay de voir ses compères directement de face sans se contorsionner. Curieux, mais logique : ce n’était pas Géraldine Laurent et trois « accompagnateurs » que le public tourangeau avait le privilège d’écouter, mais quatre musiciens jouant et se trouvant du regard en permanence, comme pour mieux communier ensemble et nous offrir leur musique sur un plateau.

"Un concentré de puissance et de netteté" Par Etienne Recordon

Fin de journée au Petit Faucheux à 20 heure pour le concert de Géraldine Laurent et de son quartet. La salle est comble, des spectateurs impatients de voir la prestation du groupe. Une entrée avec applaudissements pour en venir au premier morceau de leur dernier album en date, « l’album de l’année » aux Victoires du Jazz 2020 : Cooking. Des échanges de regards, des sourires sur les visages expressifs avec des sourires mais aussi une concentration qui se lie sur le visage des musiciens, voilà ce qu’exprime le concert de ce soir. Leurs six morceaux joués comportent une alternance entre morceaux rapides, énergiques et morceaux lents et pleins de douceurs. A la fin du concert une standing ovation bien méritée pour le groupe ainsi qu’une demande de rappel, ce que le quartet n’a pas refusé. Dans leurs performances, on voyait bien que ce quartet s’harmonisait bien entre eux. Chaque morceau donnait lieu à des improvisations ou solos. Un concentré de puissance et de netteté. Pour ma part j’ai été bluffé par Donald Kontomanou à la batterie. Sa frappe, sa précision, et son énergie étaient époustouflantes, se demandant presque le retour de Buddy Rich. Notamment à travers ses solos, sa rapidité d’exécution est prodigieuse et toujours avec un sourire aux lèvres ainsi que son corps, bougeant au rythme de la musique comme si sa batterie faisait partie de son corps. Même si ce plaisir personnel est partagé, l’ensemble des musiciens ont été des plus remarquables, un univers singulier, alliant délicatesse, énergie, plaisir, justesse et beaucoup de sourires. Ce qui a fortement plu au public avec leurs applaudissements entre chaque morceau. Fin de concert, l’album était en vente dans le hall du petit faucheux, où l’on pouvait également discuter avec les membres du groupe, ce qui était humain, vivant et revigorant comme l’on pouvait s’y attendre d’un concert de cette ampleur.

"Le délicieux banquet de Géraldine Laurent" par Rémi Dufaure

Après la trompettiste Airelle Besson et la saxophoniste Sophie Alour de l’ensemble Lady All Stars de Rhoda Scott, c’est au tour de Géraldine Laurent de venir briller avec son quartette sur la scène du Petit faucheux. La saxophoniste alto nous présente le deuxième album de son quartette "Cooking", sorti en 2019.

Depuis son ouverture en 1983, à l’initiative de Michel Audureau, le Petit faucheux s’est imposé comme une référence de la scène jazz tourangelle. Le café-théâtre de la rue des Cerisiers devient un club de jazz et déménage en 2005 dans l’ancien Théâtre Louis Jouvet fraîchement rénové. Cette salle de 200 places accueille des groupes locaux, des étudiant.e.s des écoles de musique de la ville de Tours mais aussi des pointures internationales comme Kenny Barron, Steve Coleman, Martial Solal.

En 2015, Géraldine Laurent nous emmenait « au travail » avec l’album "At work", elle nous emmène maintenant « en cuisine ». Une chance pour nous de pouvoir goûter un concert dont le répertoire date de 3 ans. En effet, certains plats sont meilleurs une fois réchauffés, c’est le cas de celui-ci. Il est 19h30, le hall du petit faucheux se rempli très vite. Le public s’entasse devant le bar profitant d’un verre avant le concert. Quelques minutes avant l’arrivée des musicien.ne.s, la salle est déjà pleine (ce qui est assez rare au petit faucheux). Je suis donc contraint de m’installer au fond de la salle. Malgré l’affluence règne une ambiance chaleureuse animée par les sourires se dessinant sur les visages et les conversations du public. Après une courte présentation, le quartette arrive sur scène et allume ses fourneaux acclamé par un public en appétit. Le concert commence par le morceau éponyme de l’album. Un thème vif, énergique et contenu à la fois éveille nos sens. Le jeu de lumière ainsi que la sonorisation sont aux petits oignons. La contrebasse de Yoni Zelnik, à peine amplifiée, s’accorde parfaitement avec la batterie de Donald Kontomanou. Mais il ne s’agit pas ici de mettre à l’honneur ou simplement d’accompagner les envolées lyrique du pianiste Paul Lay ou le débit inexorable de Géraldine Laurent. Les nombreux regards et sourires lancés entre les musicien.ne.s témoignent d’une performance si maîtrisée qu’ils se permettent parfois de se jouer de la grille et de la mesure. La leadeuse a choisi ses acolytes pour leur jeu et chaque ingrédient est méticuleusement pesé avant d’être ajouté à la marmite pour donner une saveur riche mais subtile à ce repas musical. Des morceaux pour la plupart courts et rapides (Cooking, Next, Room 44) où une grande part est accordée à l’improvisation nous plonge dans un be-bop revisité et assaisonné d’originalité. Mais pas seulement : À travers l’héritage de Parker, Rollins, Dolphy mais aussi celui de Coltrane, le quartette nous propose aussi de mélodieuses ballades (Boardwalk, Day Off) dans lesquels les progressions harmoniques de Paul Lay se marient parfaitement avec le jeu enflammé de Géraldine Laurent toujours au service « des vraies émotions du jazz » comme l’écrit Laurent de Wilde sur le site officiel de la saxophoniste. Le quartet cultive un jeu sur les couleurs et les ambiances mais ne délaisse jamais l’aspect mélodique et contrunpatique des arrangements. Un réel mélange de saveur ! Géraldine Laurent présente chaque morceau avec humour et légèreté. Les relances de Donald Kontomanou sont toujours accompagnées d’un large sourire très communicatif et de rires. Le quartette nous installe dans une confortable ambiance de camaraderie où chacun.e s’apprête à déguster son plat favori.