 
 Sėlēnę "Quand on s’éloigne un peu de chez soi, on se retrouve face à soi-même"
Le trio réunionnais Sėlēnę sera au Petit faucheux le 9 novembre prochain en clôture du Festival Émergences. Les trois musicien·nes nous ont accordé quelques minutes pour répondre à nos questions.
Mathieu Durieux : Est-ce que vous pouvez nous retracer la création du projet Sėlēnę ?
Mélanie : Alors, le projet est né en solo. J’étais au violoncelle et au chant, avec des compositions instrumentales et un peu chanson aussi. Puis j’ai rencontré Blaise Cadenet, qui est le guitariste du groupe, et je lui ai demandé de me rejoindre parce qu’il avait une patte sonore que j’aimais beaucoup — une forme d’humanité dans son pédalier, dans sa façon de jouer.
Ça a tout de suite bien matché. À ce moment-là, on avait déjà un petit set d’une demi-heure, et on avait envie de composer encore plus. On s’est dit : « Bon, c’est chouette en duo, mais on aimerait bien avoir une rythmique qui nous accompagne. »
Et donc là, on a rencontré Naresh…
Naresh : Et en fait, ça fait maintenant un an et demi qu’on joue ensemble. Le groupe s’est vraiment formé et stabilisé il y a un an et demi.
MD : Quelles sont vos influences musicales ?
Blaise : Moi, je viens du rock psyché des sixties-seventies — les Beatles, Pink Floyd, Janis Joplin…
Après, je suis aussi influencé par le post-rock, genre Radiohead, Sigur Rós… pour le côté expérimental. J’adore la musique électronique aussi, toutes ses formes, les machines... et j’aime beaucoup triturer mon son de guitare avec des pédales d’effets.
N : J’ai commencé ado avec le rock et le métal, forcément parce que j’avais envie de jouer de la batterie. J’avais envie de quelque chose qui me donne de l’énergie, qui percute.
Et puis au fil des années, des rencontres et des études de musique, tout ça s’est mis en relief. J’ai exploré beaucoup de styles, forcément toute la musique afro-américaine, mais aussi la musique brésilienne et africaine, et toute la musique de l’océan Indien mélangée au jazz.
M : J’ai une formation classique de violoncelle. En parallèle, j’ai beaucoup fait de danse traditionnelle arménienne, donc j’ai toujours évolué avec ces deux styles dans mes oreilles.
Vers la fin de mes études au conservatoire, j’ai beaucoup aimé toute la période des compositeurs contemporains du XXe siècle : Pierre Schaeffer, Edgar Varèse, John Cage, Philippe Leroux… toute cette mouvance de la musique classique moderne.
Et puis, quand j’étais petite, j’écoutais The Police ! Maintenant, j’écoute beaucoup Tigran Hamasyan, un pianiste arménien qui mêle la musique arménienne et le jazz.
Je suis inspirée par tout ça. J’aime bien l’expérimentation, le petit côté conceptuel dans la musique, même si ça ne s’entend pas toujours. 
MD : Quelle place occupe la musique arménienne dans votre musique ?
M : Moi je suis Arménienne de France — je suis née en Région Parisienne — et ça fait huit ans que je vis à La Réunion.
Quand je suis arrivée ici, j’ai découvert le peuple réunionnais, les artistes, une culture bouillonnante. Et forcément, quand on s’éloigne un peu de chez soi, on se retrouve face à soi-même. Là, je me suis dit : « Ça me donne envie de cultiver mes racines, de ne pas les lâcher. »
C’est en arrivant à La Réunion qu’est née mon envie de chanter en Arménien. J’ai donc repris deux chansons traditionnelles arméniennes — Dle Yaman et Kele Kele — puis on a aussi composé une musique sur laquelle j’ai écrit des paroles en Arménien.
MD : Vous travaillez donc dans plusieurs langues : le Français, l’Arménien… Est-ce que ça change quelque chose en termes de musicalité ?
M : Pour le Français, on aimait bien l’idée de diffuser des poèmes. C’est moi qui écris les poèmes, donc forcément, j’écris en français.
On utilise un style de dictaphone : on enregistre les poèmes sur un téléphone et on les rediffuse ensuite pendant le concert, un peu comme une bande-son. Ça crée une ambiance un peu surréaliste, et on compose une atmosphère musicale qui entre en résonance avec le texte.
Le poème répond à la chanson arménienne d’avant, c’est une manière de faire dialoguer nos deux langues, le Français et l’Arménien. Pas encore de créole, mais pourquoi pas un jour !
MD : Vous avez été sélectionné·es dans le dispositif Jazz Migration en 2024. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
M : Beaucoup de choses ! Jazz Migration nous a apporté tout un accompagnement professionnel : des formations sur la SACEM, l’Adami, les demandes de subventions, la communication, comment et pourquoi contacter des journalistes, rédiger un communiqué de presse…
On a aussi abordé les actions culturelles et les questions d’écoresponsabilité.
Ça nous a donné plein de cartes pour développer notre carrière.
Et cette année, on a eu la tournée en trois parties : en mars, en juillet et en novembre. Ça nous a vraiment donné un gros coup de boost !
Ils nous ont aussi fait profiter de leur réseau, celui de l’AJC, et on a pu jouer dans plusieurs salles et festivals partenaires.
N : À La Réunion, c’est rare d’avoir un accompagnement comme ça. C’est vraiment une chance. Et il y a maintenant des concerts ici, à la Réunion, pour présenter le dispositif, pour que d’autres musiciens réunionnais puissent s’y inscrire à l’avenir.
C’est aussi beaucoup de visibilité. Parce que, ici, on fait vite le tour de l’île, et il y a peu de lieux pour jouer. Donc c’est une vraie opportunité !
MD : Quels sont vos projets à venir ?
M : On est motivés pour faire un deuxième album, sûrement l’année prochaine. Et on aimerait aussi organiser une tournée par nous-mêmes en fin d’année prochaine.
Et puis il y aura aussi des concerts liés à Jazz Migration dans plusieurs salles à La Réunion.
N (en riant) : Et aussi, on cherche un booker… dans le monde entier !
(Propos recueillis par Mathieu Durieux)
