 
 Nabou Claerhout "Trouvez ce que vous aimez dans la musique, pratiquez, jouez avec le cœur"
La trombonniste belge Nabou Claerhout vient présenter son projet N∆BOU le 6 novembre à Tours, dans le cadre du Festival Émergences. Nous lui avons posé quelques questions pour en savoir plus sur la génèse de ce projet, ses influences, ses projets...
Comment est né le projet N∆BOU ?
Il est né en 2016. À ce moment-là, j’avais le sentiment que le trombone n’était pas vraiment un instrument qu'on entendait souvent en concert, dans les bars. J’avais envie de jouer dans un lieu appelé The Museum à Anvers, un endroit célèbre pour le jazz. J’ai donc senti que je devais créer mon propre groupe, car je n’étais pas le genre de musicienne qu’on invitait spontanément. En général, on pense d’abord à un saxophoniste ou à un trompettiste, rarement à un tromboniste.
C’est ainsi que j’ai commencé. Le groupe initial comptait Hendrik Lasure à la guitare, Mathias Vercammen à la batterie et Trui Amerlinck à la contrebasse. Voilà comment tout a démarré en 2016. Le groupe a évolué depuis, avec différents musiciens, et aujourd’hui la formation comprend Gijs Idema à la guitare, Daniel Jonkers à la batterie, Trui Amerlinck à la basse et moi au trombone.
Comment décrirais-tu le son de N∆BOU ?
C’est toujours une question difficile. Quand je compose, je ne pense pas à un style précis. Ma musique reflète ce que j’écoute à différentes périodes : Ambrose Akinmusire, Stevie Wonder, Erykah Badu, Beyoncé… ou encore Mark Guiliana, qui m’a beaucoup influencée avec son système “DROP” (Dynamic, Rate, Orchestration, Phrasing). J’ai fait des recherches sur ce système et je l’ai adapté à l’harmonie et à la mélodie.
Je compose donc à partir du rythme plutôt que de l’harmonie ou de la mélodie. Le son de N∆BOU est très rythmique. Notre guitariste disait récemment que je compose à l’inverse de beaucoup d’autres : au lieu de partir des accords, je pars du rythme et je construis autour. Cela donne une musique à la fois structurée et libre, mélangeant jazz moderne, soul, et improvisation. Si on devait la mettre dans une case, on pourrait parler de “new jazz”.
Quelle place tient l’improvisation dans N∆BOU ?
Nous jouons la mélodie principale au début et à la fin de chaque morceau, et au milieu, il y a de l’improvisation. J’ai une totale confiance en mes musiciens. On commence par jouer les parties écrites, puis on les ouvre de plus en plus au fil des concerts pour garder du plaisir et de la spontanéité. Bien sûr, il y a une base solide — rythme, mélodie, ligne de basse — mais on aime la liberté qui s’installe pendant les tournées.
Quels artistes t’ont le plus influencée pour ce projet ?
J’en ai déjà cité plusieurs : Ambrose Akinmusire, qui m’inspire énormément comme trompettiste ; Mark Guiliana, Bill Frisell, John Scofield, Stevie Wonder, Beyoncé… et aussi des artistes plus récents comme Immanuel Wilkins, dont l’approche sonore m’a beaucoup marquée pour cet album. Ce n’est pas tant sa manière de jouer que la production de son disque qui m’a inspirée.
Tu es considérée comme l’une des figures montantes du jazz au Benelux. Comment ressens-tu cette reconnaissance ?
C’est flatteur, bien sûr, mais je ne sais pas vraiment si je le suis. Je suis surtout fière d’être une musicienne belge, basée à Anvers. Ce n’est pas toujours facile de franchir les frontières dans le milieu du jazz, donc je suis heureuse de jouer aussi souvent aux Pays-Bas. J’y ai étudié, et beaucoup de gens rencontrés à l’époque continuent de m’inviter sur des projets. J’aime cette balance entre la scène belge et la scène néerlandaise, qui ont des énergies très différentes.
Quel message voudrais-tu adresser aux jeunes musiciennes qui rêvent de jouer du jazz ?
Je leur souhaite la même liberté que j’ai eue. Pendant mes études, je n’ai jamais ressenti qu’on me voyait “comme une femme musicienne”. On m’a toujours considérée simplement comme une musicienne, point. Je souhaite que les jeunes femmes puissent vivre la même chose, sans se sentir obligées d’en faire plus ou moins que les autres.
J’aimerais aussi qu’on arrête de leur poser sans cesse des questions sur le fait d’être une femme dans le jazz. Bien sûr, certaines choses doivent encore changer, mais à force d’insister dessus, on entretient la différence. J’aimerais qu’un jour, cela n’ait plus d’importance.
Et à toutes et tous — femmes, hommes, peu importe — je dirais : allez-y, trouvez ce que vous aimez dans la musique, pratiquez, jouez avec le cœur. C’est ça qui vous mènera loin.
Quels sont tes projets actuels ou à venir avec N∆BOU ?
Nous allons sortir un album sur le label anglais Edition Records. Le premier single sortira fin octobre. Nous jouerons à Tours en novembre puis la tournée commencera en janvier, avec des dates en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.
C’est un long processus : j’ai commencé à composer il y a plus d’un an, on a enregistré en janvier, puis mixé. Maintenant, je sens que ça approche et j’ai hâte de le partager avec le public. C’est toujours un mélange d’excitation et de stress.
Si tu pouvais rêver d’une collaboration idéale, avec qui aimerais-tu jouer ?
Question difficile ! Si tu m’avais demandé ça il y a un an et demi, j’aurais dit Petter Eldh — et aujourd’hui, je joue sur son dernier album, donc c’est déjà un rêve réalisé !
Sinon, j’aimerais beaucoup jouer avec Ambrose Akinmusire. Je suis curieuse de voir ce que cela donnerait. C’est encore un rêve, mais qui sait ? Peut-être un jour.
J’aimerais aussi collaborer avec Brad Mehldau — ce serait fascinant de voir comment nos univers se rencontreraient.
(Propos recueillis par Mathieu Durieux)